traduit par Christian Poslaniec et adapté pour le théâtre par Robert Boudet (école des loisirs)
(Côté jardin: intérieur d’église. Le curé fait son sermon. Coté cour: le manant. Table et banc.)
LE CURE:
Il faut faire la charité
Au nom de Dieu qui sait compter
Car Dieu rend le double à ceux
Qui donnent de bon cœur.
LE MANANT* (à sa femme):
Entends-tu ma belle
Ce à quoi notre prêtre s’engage ?
Qui, au nom de Dieu, donne à bon escient,
Dieu le lui fait multiplier.
Nous ne pouvons pas mieux employer
Notre vache, si tu es d’accord,
Qu’en la donnant, pour Dieu, au prêtre.
D’ailleurs elle a si peu de lait.
LA FEMME:
Sire, je le veux bien
Car tu raisonnes à bon droit.
(Le manant rentre chez lui, prend la vache et
va la présenter au prêtre)
LE MANANT
Beau sire, pour l’amour de Dieu
Je vous donne Blérain
Et je vous jure qu’ainsi que je n’ai plus rien.
LE CURÉ:
Mon ami, tu as agi sagement.
Tu peux t’en aller, ayant bien joué
Ton rôle de chrétien.
Si tous mes paroissiens étaient
Aussi sages que tu l’es,
J’aurais des vaches à profusion.
(Le manant se retire. On le voit côté cour, à table avec sa femme. Le prêtre attache Blérain et sa vache Brunain ensemble.)
LE CURÉ: Voilà, je vous attache pour vous accoutumer,
Toi, Blérain, cadeau de mon brave paroissien
Avec toi, Brunain; vous voilà deux,
Vous en serez mieux
Pour partager tâches et travaux.
Par Dieu, c’est un bien beau cadeau. (Il se retire.)
BRUNAIN(voulant se baisser): Souffrez, commère, que je pâture en mon champ.
BLERAIN : Je n’en ferai rien, ce champ n’est pas le mien. (Elle entraîne Brunain.)
BRUNAIN: Mais où allez-vous par chènevières** et prés?
BLERAIN:
Je vais par les chemins retrouver
Les miens. Ne me suivez pas si vous pouvez.
BRUNAIN Las! Je ne le puis! (Elle est entraînée.)
LE MANANT(apercevant les deux vaches): Ah! c’est vrai que Dieu donne le double
Car Blérain revient avec une autre,
Une fort belle vache brune.
Nous en avons deux pour une.
L’étable va être trop petite.
(Tous les participants reviennent en scène. Ils diront à tour de rôle la moralité suivante.)
LE MANANT:
Ce fabliau veut démontrer
Que fou est qui ne s’abandonne.
LA FEMME
Car le bien va à qui donne à Dieu
Non à celui qui le cache ou l’enfouit.
BRUNAIN:
Personne ne peut multiplier son bien…
BLÉRAIN:
Sans grande chance à tout le moins.
TOUS:
Par grande chance, le manant eut
Deux vaches en lieu d’une…
LE CURÉ:
Et le prêtre aucune.
TOUS:
Qui croit avancer recule. (Ils rient… sauf le prêtre.)
*manant : n. m. étym. XIIe « habitant » et aussi « riche, puissant » ◊ participe présent de l’ancien verbe maneir, manoir « demeurer », du latin manere
Au Moyen Âge, Habitant d’un bourg ou d’un village, assujetti à la justice seigneuriale. ➙ vilain. (Robert 2013)
**chènevière [ʃɛnvjɛʀ] nom féminin étym. chanevière 1226 ◊ latin populaire °canaparia, de °canapus (→ chanvre)
■ Champ où croît le chanvre.
▫ On dit aussi can(n)ebière dans le Sud-Est.
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